La femme, un homme comme les autres ? Et réciproquement ?

La crise sanitaire du COVID-19 a rappelé l’importance des femmes sur le marché du travail et dans les tâches quotidiennes. Invisibles, pourtant, dans l’espace public et aux postes de direction, les femmes sont-elles les grandes victimes de la crise ? Une belle occasion d’obtenir l’éclairage de Caroline Loisel, co-auteure avec Emmanuel Vivier du « Guide du Futur des RH et du Management » paru en février 2020, aux Éditions Eyrolles. Un entretien, sans tabou, sur la place des femmes et leur part de responsabilité. 

Caroline Loisel, tu es experte, conférencière et formatrice RH avec 20 ans d’expérience dans les nouvelles technologies et le numérique entre cabinets de conseil, agences et grands groupes, qu’est-ce qui, selon toi, doit évoluer dans les hard et soft kills pour arriver à ce que la place de la femme soit complète dans nos sociétés ?

Pour moi, ce n’est pas une question de compétence mais un rapport au pouvoir et tant qu’on n’aura pas changé ce rapport, on n’avancera pas. La femme a une place amoindrie depuis des millénaires sur notamment deux sujets qui sont des leviers fondamentaux du pouvoir. L’accès à la connaissance – n’oublions pas que ce n’est qu’en 1880 qu’on a eu le droit en France, d’avoir le même programme au collège que les hommes – et l’autonomie – puisque je te rappelle aussi qu’en France, ce n’est qu’en 1965 que la femme a eu le droit d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation d’un homme. Il faut donc, selon moi, passer d’une vision binaire d’un rapport dominant-dominé à une vision hybride de redistribution du pouvoir. Le pouvoir, c’est aussi l’autorisation qu’on se donne. Virginie Despentes parle dans King Kong Théorie, de la vision normée que les femmes ont de leur féminité. Je la rejoins sur le fait qu’elles doivent s’autoriser à s’extraire du rôle qu’elles pensent être le leur. Ce qui libèrera aussi les hommes de leur propre carcan !

Comment la formation peut aider les femmes aujourd’hui ?

Ce qui manque aux femmes, c’est de gagner en assertivité. Le fait qu’on ait eu accès à la connaissance, tardivement, nous a complexées. On doit déconstruire des générations de schémas mentaux. Par exemple, quand j’appelle une femme pour lui proposer d’intervenir sur une conférence, elle me pose dix mille questions pour savoir si elle est vraiment légitime et je dois la rassurer. Un homme te répond “oui ou non” en fonction de son emploi du temps.

Quelles thématiques de formation, dédiées aux femmes, verrais-tu ?

Je ne proposerais que des activités transverses. Casser des croyances ne peut passer que par une forte émotion, une expérience qui pourra leur servir dans un autre contexte. Je mettrais un peu de boxe ou de krav maga pour apprendre à gérer sa combattivité… De l’escalade, pour apprendre à chuter…  

LA MIXITE, SOURCE DE PERFORMANCES DANS LES ENTREPRISES

Selon une étude de Skema Business School et La Banque Postale AM, les entreprises du CAC 40 ayant un encadrement plus féminisé, ont mieux résisté à la crise boursière consécutive au COVID-19. Pourquoi, selon toi ? 

C’est le revers de la médaille. Devoir gérer son cycle hormonal ou supporter les changements de son corps, enceinte, rend l’acceptation de sa vulnérabilité plus douce, voire plus joyeuse. On est donc plus à l’aise dans des situations de déséquilibre, et plus à même de manœuvrer. 

Donc, ça n’a pas à voir avec un management qui serait plus “féminisé” comme l’écoute, la confiance ou l’empathie dont on a beaucoup entendu parler durant la crise sanitaire ? 

Ce genre de point de vue vient de ce que l’historienne Christine Bard nomme le sexisme systémique. Ce qu’on considère être la nature des femmes est en fait cultivé artificiellement dès la maternelle. Il faut bousculer ces rôles traditionnels. Moi, ce sont aussi des hommes qui m’ont poussée ! La confiance, l’écoute, c’est une histoire d’individualité !  Si on associe l’empathie aux femmes, ça empêche les hommes de la revendiquer ! 

Et ça empêchera une femme d’être empathique si elle veut prouver qu’elle est l’égale d’un homme ? 

Aussi ! C’est la raison pour laquelle je suis plus pour l’harmonie des relations que pour l’égalité des sexes. On n’est pas égaux physiologiquement, c’est comme ça ! Moi je ne tiens pas à avoir le niveau de testostérone ou les capacités physiques d’un homme ! Une femme accorde plus d’importance à sa vie privée qu’à sa vie professionnelle. Je me suis lancée en indépendante pour avoir la main sur mon emploi du temps, et pouvoir m’occuper de mon fils en toute liberté. C’était l’une de mes 3 premières raisons. Pour un homme, la gestion de l’équilibre vie privée-vie professionnelle passe, globalement, en cinquième position.

Puisque la mixité semble réussir aux entreprises, pourquoi n’y en a-t-il pas plus ? 

Il y a, d’un côté, des hommes qui, historiquement, se choisissent entre eux, et de l’autre, des femmes qui n’osent pas candidater à une offre d’emploi. Si je risque une analogie, je pense que nous changerons la société quand nous changerons notre rapport à la sexualité. Il a été de bon ton, pendant des siècles, que le puceau se fasse déflorer par la gouvernante tandis que la pucelle devait se préserver pour l’élu. Ça laisse des traces : l’homme est autorisé à expérimenter dans la légèreté tandis que la femme doit attendre le top pour agir ! Une femme ne postulera que si elle coche quasiment toutes les compétences demandées quand un homme se contentera d’en avoir seulement la moitié ! Si tu savais le nombre de femmes qui n’osent pas dire “Moi je veux ce poste” et qui auraient aimé qu’on vienne les chercher…

Durant le confinement, 1/4 des femmes télétravaillaient dans une pièce dédiée où elles pouvaient s’isoler contre 41 % des hommes. Le manque de modalités d’un travail flexible est-il selon toi, l’une des sources restantes de l’écart de rémunération entre les sexes ?

Ça me fait penser à “Une chambre à soi” de Virginia Woolf… Moi ça fait sept ans que je travaille de chez moi et je trouve que le télétravail a ses limites, même quand tu bénéficies de ton propre espace. Je pense que le futur lieu de travail est pluriel : au siège, chez toi et/ou un coworking proche du domicile. Cela permet d’être porté par une dynamique de groupe, d’avoir ton espace de travail et de diminuer les temps de transports. Il est certain que gagner en flexibilité dans l’organisation du travail, en étant salarié(e), ne peut que porter bénéfice aux femmes.

L’INDEPENDANCE FAITE FEMME

En tant qu’indépendante, as-tu déjà été confrontée à des problématiques typiquement féminines ?

J’ai plutôt bénéficié de discrimination positive. Parce qu’être une femme et intervenir sur le management ou les nouvelles technos, c’est un coup de frais pour les entreprises ! Et d’autant plus, durant la crise. Mais ça vient de mon activité…

Donc la crise sanitaire n’a pas eu d’impact négatif sur ton business ?

Au contraire, ça m’a permis d’oser des choses nouvelles ! Comme on était dans un climat d’incertitude, plus tolérant, j’ai eu envie de faire des vidéos de conseils sur des thèmes d’actualité … chez moi, face caméra, toute seule. Pour la première fois de ma vie, je me suis lancée sans préparation, filet, ni censure… Si tu regardes les vidéos, tu verras les couacs… Mais les gens ont apprécié ! J’en ai fait 18, je me suis améliorée au fur et à mesure et ça m’a même permis de trouver des clients. Et c’est bien parce que je ressentais le climat comme moins exigeant, que je me suis autorisée une expérience inédite, sans pression, qui m’a faite grandir. 

Quel est le secret d’une travailleuse indépendante épanouie ?

Je trouve mon équilibre grâce à 2 pratiques : Être à fond quand je bosse – Je ne sais pas faire autrement – et faire des vrais breaks de 3 jours quand j’en ai besoin. Ensuite, me faire coacher quand je ressens des freins. J’ai quelqu’un qui m’accompagne pour gagner en assertivité quand je bloque à passer la seconde. Mon site web a été toute une histoire pour moi. D’abord, parce que j’avais peur de m’enfermer. Ensuite, je me suis demandée “Pour qui je me prends ?” Puis il y a eu mon nom… Une bonne séance de coaching te fait réaliser que tu peux t’autoriser à revendiquer ton nom sur ton site, et que c’est normal, aussi, d’en douter parce qu’autour de toi, la majorité des noms de rues, par exemple, est masculine. C’est presque subliminal !

Deux études du CSA et de l’INA, publiées le mardi 23 juin, portant sur la représentation des femmes à la télévision et à la radio, montrent que les journalistes privilégient encore les hommes lorsqu’ils ont besoin d’une parole experte. Durant la crise, des femmes ont été interrogées en tant qu’infirmières ou mères de famille, mais très peu en tant qu’expertes… qu’en penses-tu ?

Oui j’ai lu un article qui disait que 80 % des experts interrogés médiatiquement étaient masculins. Mais au-delà de la vision sexiste, je suis sûre qu’il y a des hommes qui ont appelé des femmes spécialistes pour intervenir sur leur domaine d’expertise et qu’elles ont refusé par sentiment d’illégitimité ! Et moi, la première ! Sur les photos de groupe avec Emmanuel Vivier, mon co-auteur, je me mets sur le côté. C’est lui qui vient me chercher par le col en me disant : “Maintenant ça suffit !” pour me replacer au milieu. Les femmes doivent avoir plus de désir de visibilité, moins besoin de rôles modèles pour agir, et doivent croire en leur propre puissance. Il est grand temps qu’on prenne nos responsabilités et la pleine mesure de nos capacités. C’est un vrai cheminement, osons !

Propos recueillis par Elisabeth Fouché