Ce que dit le poète
En marche vers la terre, l’œil encor’ dans la lune,
Voyage le poète sur un fil de fortune.
Le jour est une quête, la nuit un interlude
En marge du mot terne, il s’adonne au prélude
Funambule, pauvre fou ! Ne crains-tu pas le vide ?
As-tu le pas si sage que ton âme intrépide
Défie le bavardage ? D’où peut poindre le goût,
Au néant de la bulle, de dévoyer l’œil flou ?
« Regarde la nature, l’immense poétesse
Qui sans pied, fait d’un ver, l’aile du papillon
De son seul œil solaire, miroiter les saisons,
Ondulant la mesure dans des feuilles de liesse ! »
Enivré de naissance, ivre de l’art de vivre,
Léger telle une plume, vagabond, il se livre
A l’œil plombé de brume. Son âme de bohème
L’ancre au fil d’une transe de la muse morphème.
Perché, notre poète ! Sacrifié à l’oiseau !
De son pampre d’ivresse, il recueille l’écho
De nos cris d’allégresse ! L’œil vole vers le fil,
Découvre sa lorgnette ; éclairé, il jubile !
Les coquillages
Fleur du temps qui s’échoue sur le rivage d’or
Coquillages ? Des bijoux. Florilège des morts.
Sortilège des flots au maternel ouvrage
Qui transforme un tombeau en un dernier hommage !
Fleur du vent facétieux ondoyant la marée
Dont le reflet des cieux à l’orgueil étoilé
Tremble de confusion devant l’humble océan
Qui comble de pâmoison ses astres vivants !
Flore des éléments étourdis de caresses,
Poésie des amants universels, disperse
A nos quatre horizons le secret qui se trame.
Coquillages ? Des sillons au chant muet de l’âme !
Fleur de pierre éternelle aux multiples pétales !
Œuvre d’art naturelle à l’offrande animale !
Souvenirs amarrés d’une beauté sauvage
Au sage enamouré d’un coquelicot de plage.
Fleur d’amour élémentaire, que l’enfant recueille
D’une mer qui veut taire, en effleurant le seuil
Du sable indifférent aux trésors de l’écume,
Son terrible tourment qu’elle tourne en amertume
La vespérale empreinte sur la coque striée !
Les spirales déteintes ! Couteaux peints de clarté !
Nacre luminescente imprégnée de lueur
Lactée ? Perles envoûtantes de brins de lune en fleurs !
Plainte à la butte
Il gèle au Sacré-Cœur, la montagne est déserte.
La rue des Saules en pleure à la place du Tertre.
Terrassée de silence, elle s’ennuie de ses peintres,
Bercée d’indifférence, une nuit sans complainte.
La lune me dirige à travers les pavés
De Montmartre. Il se fige, soudain abandonné
De quelque noctambule, échappé de Pigalle,
Se dégrisant de bulle au retour matinal.
Le temps est immobile, lui, jadis, si pressé.
Las, le lapin agile plagie le cabaret.
Le vieux moulin s’indigne du cynisme d’hiver,
Tordant des pieds de vignes en un blanc cimetière !
Le froid m’a envahie de l’absurde évidence ;
Je manquais de l’ami sacrifié à l’errance
De mon âme amoureuse ! L’absence est une mort
Pire que miséreuse, elle éteint de remord.
Le vent s’est engouffré aux marches de la butte !
A cette heure avancée, l’aube annonce la chute
Des amants d’autrefois aux pas d’accordéon,
Que l’on chantait parfois, l’accord à l’unisson.
Je délaisse l’obscure de l’odieux souvenir,
L’escalier vers l’azur m’entraîne, loin de nos rires
Rares d’unicité comme un sacre d’humeur !
Il est temps de quitter la rue des Saules en pleurs.
Demain est là, déjà. La plaine se réveille.
La complainte des pas me transforme en abeille ;
Lorsque valsent les vies, et que buttent les heures,
Comme on se sent petit, perdu loin de ton cœur !
Une journée gaie d’octobre
Bleu. Un oiseau qui s’ébroue.
En chantant, il s’ébroue sur la corniche,
Au bord des tuiles, il joue
Dans le bleu juin, juillet, août, septembre. Il chante
L’oiseau d’avril mai, juin, triche et chantonne
Sur le fil d’octobre, à me rendre
Presque folle.
Quatre plumes
Virevolteraient sur l’ardoise
Dans un crachin de brume et de gris anthracite
Sans égard,
Elles disparaîtraient sous la bruine.
Collées au trottoir
D’octobre.
Comme il serait heureux
Mon chagrin !
En boule au fond de la gorge,
Mon chat deviserait sur l’automne
Le grain tambourinant.
Sans chant, sans bleu, sans gaîté atropine
Son puits sans fin au fond du bide.
Mais l’oiseau chante ! Et le ciel luit !
Sur la peine démente, le châtiment d’octobre
Ricoche entre les pierres du puits
Le temps s’esclaffe et l’automne
Au printemps alloue son air de fête
« Poète » dit-il, « Vis » Cet amour-là
Ne vaut pas tant de deuil
Ni tant d’anesthésie.
Renaissance au bonheur
Mon plus doux souvenir m’est alors revenu
De la chambre sordide d’une HLM d’Evreux
Émerge la candide odeur de tes cheveux.
Le bonheur d’un vertige qui tétait l’inconnu
Encrassée de douleur, le cœur à l’agonie
Je délaissais mon corps alourdi de révolte
Sur le lit d’un amour qui depuis me transporte
Au sommet d’une tour d’où le rire jaillit
Allongée sur le dos, ton être sur mon sein
Suspendait la misère de mon adolescence
Telle une bulle d’air ! Là, toute l’innocence
Au creux de mon épaule, respirait avec soin.
Ô ma belle endormie ! Mon ange minuscule !
Que ton début de vie s’installe sur la mienne
Et qu’autour de mon cou, tes petits doigts de miel
Deviennent le bijou qui ombrage la lune.
Parée, telle une reine, je restais là, une heure
La poitrine en haleine, le sourire béat
Émerveillée, gironde, pour la première fois,
Je découvrais le monde avec toi, petit’ sœur.