Enfant, on allait au JOURNAL voir mon grand-père un lieu effervescent, une sorte de bête humaine. J’avais alors l’âge de m’émouvoir devant les mini-berlingots Nestlé, ce lait concentré sucré aux arômes de fruits empaqueté dans des dosettes colorées. Nous étions au début des eighties et mon grand-père était directeur de Gerpresse et de l’Auto-journal, après une longue carrière politique et un engagement de la première heure dans la résistance du haut de ses 17 ans.
Les locaux du Journal s’étiraient sur 3 étages d’un hôtel particulier du boulevard Barbes. Au rez-de-chaussée l’accueil vous souriait par l’intermédiaire de jeunes femmes charmantes dans une salle vaste et claire avec un coin destiné à la vente des magasines.
Au fond, une cage d’ascenseur Art Déco desservait l’escalier à gauche. A droite, une porte battante dissimulait dans un lieu plus sombre, les entrailles de la presse : l’imprimerie jonchée de machines bruyantes manipulées par des colosses en tablier aux grosses mains tâchées.
Le fameux ascenseur à double fermeture par grille coulissante puis lourde porte en fer, desservait les premiers et deuxièmes étages pour laisser un mince escalier s’envoler au troisième, sous les toits. Les bureaux des secrétaires et du directeur, mon grand-père, Georges Brutelle, étaient respectivement garnis de bonbons la pie qui chante, d’odeur de cuir et d’un grand aquarium aux poissons multicolores.
Enfin, le graal – nu et laborieux, sans doute comme il se doit d’être – acheminé par ce mince escalier qui débouchait dans un espace sans porte, ouvert et mansardé empli d’hommes agités sur des tables alignées, cigarettes sur mégots. Un troisième étage aux murs blancs détonnant avec le reste de l’immeuble, animé d’une atmosphère lumineuse, pourtant enfumée et rythmée par les pauses typex. C’était un temps, où, du bout des doigts, les journalistes pianotaient des airs de machines à écrire, en revenant à la ligne.